06 septembre 2019

Santé des enfants de l’ASE : « S’attaquer de façon préventive aux problèmes »


Article Le Média Social, rédigé par Noémie Colomb - lien de l'article

Améliorer le suivi sanitaire des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) avant l’âge de cinq ans. Tel est l’objectif de l’expérimentation Pegase (1) qui va se déployer dans 15 établissements publics de protection de l’enfance adhérents au GEPSo (Groupement national des établissements et services publics sociaux et médico-sociaux). Explications avec Jeanne Cornaille, sa nouvelle déléguée nationale.

Quelle la genèse de ce projet ?
Jeanne Cornaille : Au départ, il y a ce constat alarmant mis en avant dans plusieurs études montrant que les enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) présentent un mauvais état de santé psychique, physique et développemental. En outre, ils sont souvent moins bien suivis que dans la population générale. Le Défenseur des droits a notamment montré que seul un tiers d’entre eux bénéficiait d’un bilan médical initial (2). Ces facteurs peuvent aggraver les difficultés d’apprentissage et de développement des enfants et de ce fait, augmenter le risque de générer du handicap acquis.

Il a aussi été inspiré par l’accompagnement réalisé auprès des prématurés…
JC : Oui, une recherche publiée en 2016 portant sur la santé des bébés placés (3) a mis en évidence que ceux qui évoluaient le mieux étaient les prématurés car ils bénéficiaient, du fait de leur prématurité, d’une prise en charge de santé plus structurée. D’où l’idée de transposer ce programme auprès de l’ensemble des enfants en bas âge de l’ASE. Avec comme principe : plus on s’attaque de façon préventive aux problèmes, moins les enfants auront de difficultés par la suite. Ce qui a aussi l’intérêt de faire baisser le coût des prises en charge pour la société.

En quoi consiste cette expérimentation ?
JC : Il s’agit d’organiser, pour tous les enfants entrant dans une des 15 pouponnières embarquées dans le projet, un protocole comprenant 20 examens de santé réguliers à âges fixes (contre 18 dans le droit commun) dont 12 renforcés. Ces consultations approfondies comporteront un bilan d’admission avec reconstitution de l’histoire médicale de l’enfant et des évaluations de sa santé physique, psychique et développementale, réalisées à partir de grilles testées outre-Atlantique et qui donneront des indications de prise en charge si nécessaire. Cette batterie d’examens sera reconduite ensuite 11 fois jusqu’aux 7 ans de l’enfant.

L’ambition est aussi de conserver un historique médical de leur suivi…
JC : L’innovation réside dans la création d’une plateforme numérique dédiée permettant de recueillir l’ensemble des données de santé de ces enfants. Ainsi sera mis en place un dossier médical numérique qui rassemblera tous leurs bilans et suivis et restera pour la vie.
Aujourd’hui, ce type d’outil, qui permet de tracer le parcours médical, n’existe pas et les jeunes n’ont aucun historique de leur suivi.
En 2020, 350 enfants devraient bénéficier du protocole puis 700 nouveaux chaque année. Au total, 2 450 enfants seront concernés à la 􀃥n de l’expérimentation en 2024. Qui, après évaluation, a vocation à être généralisée.

Comment ce programme est-il financé ?
Les règles de financement de droit commun ne permettent pas d’assurer ce suivi de l’état de santé des enfants : les praticiens n’ont en effet pas suffisamment de temps pour réaliser des bilans approfondis et encore moins de se coordonner. En outre, les soins psychologiques et de psychomotricité ne sont pas remboursés par la sécurité sociale et donc à la charge exclusive des conseils départementaux sur des crédits d’aide sociale.
L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 sur les innovations en santé, qui permet d’expérimenter de nouvelles organisations reposant sur des modes de financement inédits, a offert un cadre pour tester ce programme. Ainsi ce protocole repose sur un forfait financé de 1 399 euros par l’assurance maladie qui inclut les frais relatifs aux bilans, aux soins précoces, à la coordination nationale. Le coût global de l’expérimentation s’élève à moins de 9 millions d’euros sur cinq ans.

Comment les établissements vont-ils s’y prendre ?
JC : Les structures qui ont été sélectionnées sont de tailles différentes mais sont toutes déjà sensibilisées à la prise en charge médicale. Elles sont en mesure de recruter des personnels médicaux et paramédicaux ou d’augmenter le temps de travail de ceux déjà en poste.
Certains vont choisir de passer des conventions avec des praticiens libéraux. Pour les rémunérer, elles seront destinataires du forfait dédié. Au préalable elles doivent avoir signé des conventions avec l’agence régionale de santé, l’assurance maladie et le conseil départemental.

Quels sont les points de vigilance déjà identifiés ?
JC : Le challenge sera de ne pas perdre les enfants dont on sait qu’ils ont des parcours souvent chaotiques. Ils peuvent changer de département, faire des allers retours entre un placement et le domicile… Les acteurs doivent mener une réflexion pour garantir le suivi des enfants dans le temps. Ce qui est d’autant plus important que tous ces éléments permettront de réaliser une étude scientifique afin d’évaluer les effets de l’expérimentation.

Quel est le calendrier ?
JC : Une première vague test va impliquer d’abord huit structures. Après un temps de formation, les premiers enfants devraient entrer dans le protocole au printemps 2020. Les autres structures suivront en 2021. Au bout de cinq ans, le protocole sera évalué et, comme nous l’espérons, généralisé à l’ensemble des enfants entrant à l’ASE avant l’âge de 5 ans.

Comment ce projet s’articule-t-il avec l’autre expérimentation sur la santé des enfants de l’ASE lancée en juin par le secrétaire d’État Adrien Taquet ?
JC : L’expérimentation portée par le Docteur Nathalie Vabres mis en place dans trois départements cible les enfants plus âgés et porte davantage sur la construction d’un parcours de soins coordonnés que sur les bilans approfondis. Mais les deux projets sont complémentaires et montrent que la prise en charge de la santé des enfants de l’ASE est un axe politique et stratégique fort du gouvernement. Ce dont nous nous réjouissons !

 

(1) Protocole de santé standardisé appliqué aux enfants ayant bénéficié avant l’âge de 5 ans d’une mesure de protection de l’enfance.

(2) « L’accès à la santé des enfants pris en charge au titre de la protection de l’enfance : accès aux soins et sens du soin », recherche financée par le Défenseur des droits, mars 2016.

(3) « Devenir à long terme de très jeunes enfants placés à l’aide sociale à l’enfance », recherche publiée dans la Revue française des affaires sociales, janvier 2016.