Un rapport propose une refonte du financement du handicap
Le rapport sénatorial rédigé sous la houlette de Philippe Mouiller passe en revue toutes les dimensions d’une politique inclusive en direction des personnes handicapées. Travail, scolarisation, PCH… ce document propose de nombreux changements. Il souhaite notamment la création expérimentale de plateformes au niveau des bassins de vie, notamment pour recenser les besoins.
Neuf mois… c’est le temps qu’ont pris les huit sénateurs de ce groupe de travail pour accoucher d’un rapport « Repenser le financement du handicap pour accompagner une société inclusive », rendu public le 10 octobre dernier. Son propos est ambitieux. En effet, comme l’explique son rapporteur le sénateur Philippe Mouiller en présence de la secrétaire d’Etat Sophie Cluzel, il existe « une extrême complexité du financement du monde du handicap ». Par ailleurs, pour aller dans le sens d’une société plus inclusive, il convient de s’interroger sur la pertinence « des cloisonnements en fonction de l’âge, de la nature de la mission », sans oublier les disparités d’un département à l’autre. Le rapporteur se demande si le financement direct de la personne ne permettrait pas de faire de la personne « le décideur réel de son accompagnement ».
Transformation de l’offre : encore un effort !
Le rapport montre qu’on est passé d’une logique de création de places à une nouvelle approche inclusive. Pour autant, la réalité de l’offre est encore dominée par la logique de places. « Le secteur enfants et le secteur adultes, explique le rapport, montrent tous deux une prépondérance importante de l’accueil en établissement sur l’accompagnement par un service. » L’objectif de transformation de l’offre n’est pas (encore) au rendez-vous. Dans le même temps, l’effort budgétaire pour la création de places s’est fortement réduit : de 76 % entre 2014 et 2018, ce qui « ne laisse pas d’inquiéter » le rapporteur.
Plus de cloisonnement enfants/adultes
Le rapport prône de mettre fin aux cloisonnements engendrés par la coupure enfants/adultes car cette frontière serait un puissant frein à l’évolution vers la recomposition de l’offre. Sur la question du vieillissement, la frontière des 60 ans est interrogée et le rapport préconise de réfléchir à un modèle de foyer d’accueil spécifique pour les personnes handicapées vieillissantes.
Rôle planificateur des départements
Pour plus de souplesse, les MDPH pourraient être autorisées à orienter les personnes à l’extérieur du département d’implantation. Le rôle planificateur des départements devrait être davantage affirmé à travers les schémas départementaux de l’offre médico-sociale. A ce propos, le sénateur tord le cou à l’idée selon laquelle la gestion décentralisée serait facteur de fortes disparités. Le rapport Jeannet-Vachey a établi que les crédits de l’assurance maladie étaient distribués de façon plus inégalitaire que ceux des conseils départementaux.
Restreindre l’appel à projet
Sur l’appel à projet, le rapporteur se montre très critique, estimant que la procédure est longue et formaliste. Elle doit donc être simplifiée et limitée aux « seuls cas de création de places nouvelles dépassant un certain seuil ». Quant aux CPOM, Philippe Mouiller souhaite que tous les gestionnaires pluri-établissements aient l’obligation de proposer des parcours modulaires afin d’éviter la constitution de filières d’accompagnement.
Construire des parcours individualisés
Le rapport explique longuement comment il est possible de construire des parcours individualisés centrés sur les besoins. Cela suppose de remettre en question certaines idées reçues. Par exemple, l’objectif de scolarisation ne correspond pas aux contraintes des handicaps les plus lourds. Le sénateur montre également le paradoxe d’avoir d’un côté une scolarité très inclusive et de l’autre, une sphère de travail protégé.
Mutualiser la PCH
Comment recomposer l’offre ? Le rapporteur cite trois exigences : il faut favoriser « l’autonomie des personnes handicapées, rendre l’offre médico-sociale plus agile et sécuriser les parcours de ces dernières ». Le projet de loi Elan, via son article 129, va dans le bon sens en finançant de l’habitat inclusif. Pour favoriser ce virage inclusif, il faut aller vers une mutualisation de la PCH. En matière de réponse accompagnée pour tous, un premier bilan fait apparaître qu’il y avait, fin 2017, 837 plans d’accompagnement global signés. Ce chiffre assez limité est révélateur, explique le sénateur, « des difficultés de mise en place d’une réponse accompagnée ».
Revoir le financement des Esat
Concernant le travail, le rapport constate une rigidité dans le fonctionnement. L’Esat relève du médico-social alors que le milieu adapté s’inscrit dans le champ ordinaire du travail. L’orientation « Esat » ou « milieu de travail » réalisée par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) est jugée enfermante. Il faut véritablement permettre les parcours ascendants et descendants des travailleurs. Cela suppose notamment d’assouplir l’enclenchement de la période de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP). Il faudrait d’ailleurs revoir le financement des Esat : actuellement, celui-ci n’a pas intérêt à proposer un PMSMP à l’un de ses résidents car cela réduit la dotation versée par l’assurance maladie. Pour que la personne handicapée soit davantage motivée par un passage en milieu adapté ou ordinaire, il faudrait revoir les règles du chômage : si elle est licenciée dans les quatre premiers mois, elle ne peut prétendre au chômage. Plus globalement, le rapporteur souhaite une étude nationale des coûts pour la prise en charge en Esat des différents handicaps.
Un seul service public
Pour ce qui est de l’emploi en milieu ordinaire, le bilan est jugé « en demi-teinte ». La politique d’accompagnement est à revoir. Il faudrait que l’accompagnement médico-social puisse se faire au sein de ces entreprises et que les aides accordées par l’Agefiph soient davantage accordées dans la durée. Le rapport propose d’unifier autour d’un seul service public de l’emploi les missions d’insertion et de maintien dans l’emploi.
Une plateforme territoriale
Venons-en à la proposition centrale du rapport : créer à l’échelle du bassin de vie une plateforme territoriale du handicap (PTH). Il considère, en effet, que les réalités à l’échelle d’un département sont très diverses et ne permettent pas de recueillir les besoins des personnes. La plateforme rassemblerait donc les collectivités territoriales, les travailleurs sociaux, les services de l’Etat compétents en matière d’emploi, de santé, d’éducation et de sport, ainsi que les associations représentatives des personnes handicapées et les associations gestionnaires.
Fin des cofinancements
Cette plateforme répondrait à trois missions. D’une part, elle serait chargée de recenser les besoins qualitatifs, ce que la MDPH n’est pas en mesure de réaliser. D’autre part, la plateforme aurait une mission prospective pour l’évolution de l’offre. Enfin, elle serait missionnée pour contrôler la conformité de l’évolution de l’offre aux besoins. Le rapport souhaite que ces plateformes soient expérimentées. En matière de financement, le document demande qu’il soit mis fin au cofinancement des structures. Celles qui relèvent d’un suivi médicalisé doivent relever sur le plan tarifaire de l’Etat.
Paradigme planificateur
En conclusion, le rapporteur indique qu’il faut un vrai coup d’accélérateur pour traduire dans les faits le virage inclusif. En effet, explique-t-il, « l’idée que le pilotage de la politique du handicap doit suivre un mouvement ascendant, et non plus strictement descendant, connaît certes un progrès, mais continue de buter sur un paradigme planificateur qui voit s’affronter des schémas régionaux issus de plans nationaux et des schémas départementaux souvent lacunaires. »