[ TRIBUNE ] Protection de l’enfance : de l’information compassionnelle au droit à l’information, il faut tout montrer
Ces dernières années, de nombreux rapports de spécialistes de l’enfance et de la famille, éducateurs, soignants et juristes, ont montré combien l’accueil des jeunes vulnérables est sensible tant il touche à l’intime de la vie, aux relations complexes parents–enfants, aux droits et libertés des uns et des autres.
Alors, pourquoi ne pas dire, comme le souligne le tout récent rapport de la Cour des Comptes et comme le faisait déjà celui du Défenseur des Droits en 2019, que la première cause des dysfonctionnements constatés dans l’exercice de cette délicate mission est le peu d’importance que la société accorde à ces enfants dits « protégés », qu’on ne veut pas voir, qui nous font peur pour ce qu’ils disent de nos fragilités et culpabilités ?… C’est bien cela la face cachée du décor : une volonté politique insuffisante, un système fragmenté et complexe, un manque de financements …
Il y a deux ans tout juste, l’émission de France 3 « Pièces à conviction » prenait pour cibles les établissements de protection de l’enfance, personnification médiatique du bouc émissaire, contribuant à cacher les véritables difficultés d’un fonctionnement à bout de souffle. Cette médiatisation a pu être un mal pour un bien : en révélant certaines failles, elle a aussi permis de montrer que la protection de l’enfance n’est pas une priorité de notre société.
Ces lignes sont écrites alors que l’on annonce, sur la même chaîne de service public, la diffusion prochaine d’un reportage-documentaire destiné à relever les évolutions constatées dans les foyers de l’enfance depuis janvier 2019. Il est à souhaiter que cette fois ci, il ne fera pas de ces derniers les responsables de tous les maux pour apporter une vision d’ensemble de tout un système où les intérêts institutionnels se trouvent encore trop souvent placés avant l’intérêt supérieur de l’enfant et de la réponse à ses besoins fondamentaux.
La liberté d’expression et le droit à l’information sont la pierre angulaire de la démocratie. Aussi, parler des sujets de société et des plus fragiles est essentiel. Mais le risque est grand de céder au sensationnalisme, aux excès de ce qu’il est convenu d’appeler l’information compassionnelle, en montrant uniquement des plaies et des souffrances. D’autant que des plaies, nous en avons beaucoup en protection de l’enfance : les traumatismes qui amènent un enfant à vivre un placement ; l’histoire et le vécu de sa famille et parfois de ses aïeuls ; la séparation du milieu ordinaire de vie et l’hébergement collectif qui est une exception au droit de l’enfant à vivre dans sa famille.
A l’écran, l’image la plus directe est celle d’un enfant hébergé (en famille d’accueil, en foyer, et lieu de vie) et celle de professionnels, certes engagés, mais montrés dans des situations le plus souvent difficiles. L’émotion y est très présente. Mais après, qu’en reste-t-il ?
Si l’on souhaite vraiment comprendre ce qui se joue pour ces enfants et familles au plus intime de leur existence, il faut aller plus loin.
Les membres de l’association nationale GEPSo sont convaincus de pouvoir porter à l’écran une autre réalité de la protection de l’enfance et des établissements qu’il représente. Nous sommes certains que nous pouvons, via l’œil de la caméra, montrer la réalité des situations humaines vécues et le travail des professionnels au quotidien pour y répondre.
Nous devons tenter de communiquer sur l’incommunicable, voire l’insoutenable : crise d’un enfant, prostitution infantile, jeunes victimes ou agresseurs… Derrière la souffrance et les cris qui éclatent et jaillissent de l’écran de télévision, il faut chercher ce qui se joue et ce qui se dit. La compréhension fine et nuancée, c’est ce à quoi s’attachent au quotidien les professionnels de l’enfance qui ont choisi de faire de l’aide aux plus fragiles leur exigeante vocation. Il est grand temps de valoriser leur action, leur écoute, leur bienveillance. Il faut aussi donner à voir leurs réussites dans l’accompagnement des enfants et des familles.
Révéler au grand public toutes les facettes du secteur est non seulement une obligation d’information et de transparence, mais également une nécessité pour une meilleure compréhension de la protection de l’enfance.
Dans ce but, nous lançons aujourd’hui un appel à nos partenaires, aux pouvoirs publics, aux militants de la protection de l’enfance, aux enfants et familles concernés, aux médias désireux de s’associer au GEPSo pour la réalisation d’un film documentaire qui montrerait, sans complaisance ni options réductrices, la réalité des professionnels engagés au quotidien pour une citoyenneté effective de toutes et de tous.
Marie-Laure DE GUARDIA, Présidente du Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (GEPSo)